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⛓️ prison de la Santé avant travaux (21/09/2014)

Mots-clés: prison de la Santé, visite, journées du patrimoine, JEP, 2014, travaux, Emile Vaudremer, architecture carcerale, panoptique, réhabilitation, quartier haut, quartier bas, 14e arrondissement

Paris 14. Ce matin-là, la rue de la Santé vibrait d’une étrange agitation. Tandis que certains attendaient depuis quatre heures faute d’avoir pu s’inscrire en ligne, nous autres « chanceux » avons reçu notre confirmation à la dernière minute. Nous sommes là, aux portes d’un lieu chargé d’histoire, sur le point de disparaître.

En attendant l’ouverture, un défilé inattendu nous distrait : des cyclistes cruising, lookés comme des bikers écolos, traversent la rue en mimant les grognements de moteurs fantômes. Une scène digne d’un remake de Sons of Anarchy, version sans carbone.

Deux surveillants pénitentiaires nous accueillent enfin. Après le passage au scanner, nous restons longuement regroupés, compressés dans le sas d’entrée, à attendre que le groupe soit complet. Puis, les grilles s’ouvrent, et nous basculons dans un autre monde. Bonne surprise : les prises de vue sont autorisées.

Dès les premiers pas dans la cour, le sentiment d’étrangeté s’installe. L’univers carcéral impose ses codes, ses rythmes, ses silences. On découvre l’architecture panoptique, les divisions internes, les quartiers spécifiques (QI, QHS, particuliers), et les cours de promenade, minuscules et oppressantes.

La claustrophobie est partout. Le système de sas, où l’on attend enfermé entre deux grilles, accentue cette sensation d’enfermement. Chaque passage est une suspension, une mise en attente du corps et de l’esprit.

Ce que j’attendais le plus : les cellules. Petites, vétustes, identiques pour tous, même les « VIP ». Sur les murs, des inscriptions, des traces de vie, des cris silencieux. Les parloirs enfants, bricolés avec les moyens du bord, témoignent d’une volonté de lien malgré tout.

On nous apprend que la prison était exclusivement masculine. Mais rien sur la division ethnique des quartiers, pourtant bien réelle. Un silence révélateur.

La visite se termine sur une note institutionnelle : présentation du SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation), des ateliers vidéo, des projets de réinsertion. L’intention est claire : montrer une image moderne et humanisée de l’enfermement.

Mais ayant travaillé par le passé avec des aumôniers de prison, engagés contre la surpopulation carcérale, je reste lucide. Heureusement, les vidéos réalisées par les détenus eux-mêmes, avec des témoignages directs, viennent nuancer cette vitrine trop lisse. Personne ne sort indemne d’un tel lieu. Et certainement pas « réparé ».

La visite, prévue pour 45 minutes, a duré deux heures. Je ressors le ventre vide, mais libre. Marquée par la sérénité du guide, sa voix posée, son sourire constant face aux questions d’une conférencière spécialisée dans les prisons russes. À côté, la Santé semblait presque luxueuse. Nous étions les premiers - et les derniers - visiteurs grand public à pénétrer dans ce monument historique avant sa réhabilitation.




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